vaguement

Je ne me souviens pas d'avoir jamais formulé ce genre de réflexion sans qu'on ne m'oppose aussitôt, avec plus ou moins de patience et de sympathie, une censure formelle. La philosophie serait chose trop sérieuse pour qu'il soit permis de philosopher. Sans doute s'assimile-t-elle, en France, à la connaissance suprême des fonctionnaires de l'Éducation Nationale (depuis Victor Cousin, me souffle-t-on), dont toute pratique vulgaire offense l'esprit corporatiste. Je me souviens d'une conversation où je brillais en évoquant pour le bénéfice d'Amit Chaudhuri l'importance de Derrida dans mon existence et où mon supérieur hiérarchique (dans une maison d'édition) m'interrompit pour dire : “mais tu n'as pas lu beaucoup de philosophie, Antoine”, ce par quoi il entendait que je n'étais pas, contrairement à lui, normalien et agrégé de ladite, donc pas autorisé à retirer du prestige de son utilisation publique. La philosophie comme matière d'examen, valant certification d'autorité intellectuelle, définissant une caste supérieure imperméable, aux privilèges perpétuels, est-ce bien de la philosophie ?

Tandis que philosopher sur son croissant du matin (brûlé, malheureusement), sans prétendre par cela faire œuvre philosophique (marquer d'un sceau nouveau le fronton d'un monument invisible mais connu des autorités compétentes), mais seulement employer ce que l'on croit avoir retenu de quelques lectures, pour voir ce qu'on peut dire de son expérience, est-ce vraiment coupable ?