Brèves
- Utiliser le langage pour penser: la littérature est à la base de ça. Loin des tentatives de la philosophie pour se faire science (la poule voulant rentrer dans son oeuf), se situer à la source du phénomène, en acceptant qu'il est au départ fiction, cognition et formulation, imagination, seulement bien après devenant mesure.
- Dans l'écriture, il y a l'imagination, certes, l'entrain ou le lyrisme, parfois l'intelligence ou l'instruction (on peut faire bien des choses avec le langage), mais ce qui dans la pratique m'apparaît de plus en plus important, c'est la réécriture. Le niveau de précision que l'on atteint à force d'y repasser, les expansions diverses, les coupes aussi, le regard d'ensemble qui m'évoque souvent celui du peintre, au pinceau si fin mais au tabouret coulissant toujours vers l'arrière, prenant du champ, puis revenant progressivement jusqu'au plus pointu détail : ce travail-là, qui prend des heures, de l'énergie, une inlassable exigence, que produit-il ? Des textes qui sont des objets d'art, en ce que tout y est nécessaire ? Et semble simple et devoir avoir existé ainsi en idée d'abord, pour présenter tant d'harmonie, alors que, si abstraitement on peut conjecturer une vision poursuivie, concrètement c'est l'ajout laborieux, méticuleux, de couches et surcouches d'effort, disons-le, tatillon, qui aboutit, presque miraculeusement, à tant de clarté.
- La langue française, je la tire.
- Il y avait tout de même l'idée d'un public, du moins d'un destinataire collectif, certes relativement abstrait, certes distant spatiale et temporairement, mais existant par la même nécessité qu'un reflet dans un miroir, réponse proportionnelle au désir que contient toute présentation de soi. Or ce soir, nous n'étions qu'une galerie de personnages déséquilibrés, nous tolérant mutuellement dans l'espoir de nous sentir, un instant, légitimes dans notre folie. (31/1/23)
- Un plan de roman, ce n'est pas une structure statique, ou on s'emmerde. C'est une trajectoire dynamique, mais pas simplement d'un point A à un point B ; plutôt d'un point 0 à un point “monde”, et de manière idéalement unique.
- Quand on écrit un roman, on cherche quelque chose de nouveau (si on veut que ça ait quelque valeur au-delà de la rédaction de fiction), pendant longtemps on cherche, c'est-à-dire qu'on se perd exprès, et à un moment si on a de la chance on trouve. À ce moment-là, il faut terminer son chemin, puis revenir en arrière et rendre la voie plus pratiquable pour les lecteurs, mettre en valeur ce qu'on a trouvé. Ça ne veut pas dire qu'après avoir traversé la jungle, on va construire une autoroute pour les suivants, le charme serait perdu, mais on va quand même aménager un sentier balisé, élargir un peu la trace, et pas nécessairement prendre tous les détours de la trajectoire initiale : seulement ceux qui ont du sens pour apprécier l'objectif. On va travailler l'esthétique du trajet.
- Mes idées deviennent de plus en plus simples. Je crois que c'est une bonne chose. D'abord, cela les rend mieux applicables au quotidien : plus rapides à convoquer, nécessitant peu de calculs inopinés. Ensuite, cela suggère une portée plus générale, une pertinence plus en amont et, peut-être, davantage de précision — car les idées complexes reposent, souvent sans le dire ou le savoir, sur d'antérieures idées simples. Enfin, cela m'épargne l'embarras d'impressionner mon prochain, qui hausse les épaules en entendant mes évidences, puis s'éloigne.
- Lorsque l'on utilise un mot, notre interlocuteur comprend ce qu'il ou elle considère être la définition de ce mot. Ainsi, “voiture” en 2024 désigne un engin mécanique, d'aspect différent selon le point de la planète où l'on se trouve, tandis que “voiture” en 1870 en à Paris, France, ne se concevait pas sans chevaux. Par définition, parler à quelqu'un, c'est supposer que ce quelqu'un possède, pour termes importants que l'on envisage d'employer, des définitions compatibles avec les nôtres. Utiliser un mot pour se définir soi-même : je suis “écrivain”. Quelle définition mon interlocuteur possède-t-il du terme “écrivain”? Tu écris des romans (pas de la poésie ou autre), tu passes à la télé ? Est-ce que tu gagnes de l'argent en écrivant ? Quelle définition possédé-je moi-même du terme “écrivain”? Quelqu'un qui se définit par ce qu'il écrit. Davantage que par ce qu'il est. Donc en disant, “je suis écrivain”, d'une certaine manière je dis : “je ne suis pas là, je ne suis personne, je ne veux me reconaître que dans ce que j'écris, que vous n'avez sans doute pas lu, donc aucune communication n'est possible entre nous, mais bonjour, je voudrais bien que vous me reconnaissiez quand même.” Il faudrait parler avec beaucoup plus de précautions.