Sous la douche

“Dieu, merci de m'avoir donné un corps si faible, que je puisse te connaître dès à présent.”

Cette pensée chrétienne peut paraître horrible imaginée prescriptive, à plus forte raison à qui souffrant de maladie ou de handicap.

Mais elle peut aussi paraître belle si sue proférée par un homme jeune et en bonne santé, sous une douche froide nocturne savourant cette souffrance épidermique et douce de lui faire entrevoir une existence sans ce corps dont il sait le temps compté.

Qu'il ait tort ou raison, d'ailleurs, de l'entrevoir, affecte peu la nature de son sentiment.

Je voulais aussi noter cette différence d'interprétation entre prescriptive et expressive et explorer cela plus avant.


Lorsque je pense “le ciel est vert”, j'exprime verbalement ma perception que le ciel est vert. Ou bien ma découverte que malgré son apparence bleutée, le ciel est (considéré autrement) vert en réalité. Ou bien ma vision imaginaire d'une autre planète où le ciel se teinte différemment, en raison probablement des gaz particuliers que recèle son atmosphère. En tout cas, je m'exprime à moi-même une situation que peut traduire adéquatement, sinon intégralement, cette proposition que “le ciel est vert”.

Je pourrais éventuellement me prescrire à moi-même que le ciel est vert, par exemple si je sais que c'est folie ou maladie de le percevoir bleu, car mon médecin me l'a dit, et qu'en réalité, selon le consensus scientifique en vigueur, il est vert, et que je me répète cette information pour tenter de m'en convaincre et corriger ma perception fautive. Mais “se prescrire à soi-même” implique un dédoublement fictif de soi qui n'est pas directement mon propos, les protocoles d'interaction avec soi n'étant pas les mêmes qu'avec autrui.

Lorsque je dis “le ciel est vert” à autrui, soit autrui regarde le ciel et constate que c'est vrai (c'est-à-dire qu'autrui perçoit la même chose, une sensation visuelle, supposée identique à la mienne, qu'autrui associe comme moi au mot “vert”), soit non. Dans ce second cas, si autrui a de la sympathie pour moi, autrui me demandera sans doute si j'ai d'autres symptômes et si je souhaite qu'autrui m'appelle une ambulance. Si autrui n'a pas de sympathie pour moi, autrui réagira en rejetant ma proposition, rappelant peut-être à qui voudra l'entendre que le ciel est bleu, et n'envisageant probablement pas de nouer avec moi de relation plus intime.

Avec sympathie, autrui jugera mon propos expressif. Sans sympathie, autrui jugera mon propos prescriptif.


Un propos expressif vise à proposer son contenu comme ressenti, c'est-à-dire s'appliquant d'abord à soi-même et, en fonction de l'intérêt suscité, susceptible d'être partagé par autrui dans un cadre donné.

L'intérêt, qui offre les moyens de partager le ressenti, est ainsi ce qui le définit.

L'intérêt est toujours individuel. Seul le refus d'intérêt peut être collectif.


Un propos prescriptif vise à établir son contenu comme vérité, c'est-à-dire s'appliquant aussi à autrui et, en fonction de l'autorité associée, susceptible de lui être imposé dans un cadre donné.

L'autorité, qui possède les moyens d'imposer la vérité, est ainsi celle qui la définit.

L'autorité est toujours collective. Seul le refus d'autorité peut être individuel.